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“Je pense, je ressens, je décide” : les femmes polonaises portent en elles toutes nos causes communes

Billet d'humeur 25 novembre 2020

En Pologne, c’est la mobilisation des femmes pour la défense du droit à l’avortement qui a aggrégé l’exaspération générale face à un gouvernement réactionnaire et liberticide. A l’occasion de la mobilisation pour la journée contre les violences faites aux femmes, il est temps de le rappeler une fois pour toutes : les droits des femmes ne sont pas une sous-cause sociétale mais le moteur de nos causes communes et des révoltes populaires.

Le 22 octobre dernier, à la demande du gouvernement, le Tribunal constitutionnel a rendu l’avortement pratiquement illégal en Pologne. Déjà très restreint, l’IVG est désormais également interdit en cas de malformation grave du fœtus, laissant de fait aucune possibilité légale aux femmes qui souhaitent avorter.


Chaque année, ce sont ainsi au moins 200 000 femmes qui avortent dans la clandestinité en raison de ces restrictions. Parmi elles, il y a celles qui peuvent prendre le train pour avorter à l’étranger, celles qui se procurent des pilules sur le marché noir. Et surtout, celles qui avortent avec les moyens du bord, le ventre tordu par la souffrance et la peur de la mort. 


Ces femmes sont les cibles d’une guerre sans merci menée depuis 4 ans par leur propre gouvernement, dirigé par les obscurantistes d’extrême droite du PiS (Parti droit et justice, pas sûre qu’ils portent bien leur nom...). A deux reprises, en 2016 et en 2018, leur mobilisation fait plier le parti au pouvoir, en bloquant des propositions de loi qui tentaient de criminaliser l’IVG. Elles tiennent bon face aux réactionnaires et aux institutions catholiques proches du PiS, qui ne se cachent pas de vouloir liquider purement et simplement le droit à l’avortement.


C’en est trop d’insolence pour le gouvernement qui décide d’écraser la mobilisation des femmes en faisant intervenir le Tribunal constitutionnel, désormais étroitement contrôlé par le parti au pouvoir. La Pologne est régulièrement condamnée pour atteinte à l’Etat de droit tant elle musèle et asservit la justice. Car quand le peuple dit non, il ne reste aux gouvernements autoritaires que l'instrumentalisation de l’appareil de l’Etat. 


La réponse des femmes ne s’est pas faite attendre. Au soir de la décision du Tribunal, des dizaines de milliers de polonaises sont sorties dans les rues de Varsovie, malgré la pandémie. Sauf que cette fois, les colères se sont agglomérées. Celle des femmes et celle des personnes LGBTI, elles aussi persécutées par le régime. Celle des soignants, indignés par la gestion catastrophique de la crise sanitaire. Celle des défenseurs de l’indépendance de la justice, celle de la jeunesse privée d’avenir, celles des travailleuses, travailleurs, agriculteurs frappés de plein fouet par la crise. 


Emmenée par les femmes, toute la société a basculé dans la contestation. Le mouvement s’est étendu aux villes, aux petites communes, aux territoires ruraux. Même là où le PIS enchaîne les victoires électorales. La foule a bloqué les centres, les villages et les routes. Le gouvernement a bien tenté d’éteindre les braises, en suspendant la décision du Tribunal, mais le feu était déjà parti. Les 100 000 manifestant.e.s qui défilaient dans la capitale ne scandaient plus uniquement “Mon corps, mon choix” mais exigeaient la démission du gouvernement. 


Les femmes ont déclenché une véritable déferlante populaire. Le peuple exaspéré par l’autoritarisme de ses dirigeants s’est levé avec elles pour dire “Foutez le camp !”. Les attaques contre l’avortement ne sont pas simplement la restriction de trop, mais l’ultime tentative de gouverner le pays comme ils veulent gouverner le corps des femmes : avec violence et mépris. Un des slogans de la mobilisation exprime ce ras-le-bol d’être infantilisés et l’ambition d’être des citoyen.ne.s, pas des sujets : “Je pense, je ressens, je décide”.


Malheur aux gouvernements qui s’en prennent aux femmes. Elles, les grandes oubliées de notre Histoire, sont souvent le déclencheur de nos révolutions. En 1789, ce sont elles qui marchent sur Versailles pour aller chercher le Roi et protester contre la disette. En 1871, ce sont elles qui guident la foule pour s’emparer des canons de Montmartre et déclenchent l’insurrection qui mène à la Commune. Deux siècles plus tard, ce sont encore elles qui sont au coeur des révoltes populaires, dans les printemps arabes, au sein des gilets jaunes et maintenant en Pologne.


Les femmes sont omniprésentes dans nos processus révolutionnaires car elles portent en elles toutes nos causes communes. La pandémie l’a une nouvelle fois démontré : en assumant en écrasante majorité la charge des tâches dévalorisées et sous payées pourtant essentielles à notre société, les femmes tissent les liens de l’entraide, et comblent les trous toujours plus grands de notre système de solidarité. Ce sont elles qui permettent de tenir, et elles qui décident souvent que trop c’est trop.


Quand partout en Europe, nous subissons les velléités toujours plus autoritaires de gouvernements à la dérive et d’obscurantismes qui se sentent pousser des ailes, tournons nous vers la Pologne et tirons-en les leçons : nos droits ne sont jamais acquis. Il nous faut constamment être vigilantes et prêtes à les défendre. Nos luttes sont la condition nécessaire à la construction d’une société protectrice des droits de chacune et chacun, en premier lieu le droit de décider ensemble. Il n’y aura aucune harmonie possible sans s’attaquer frontalement aux discriminations que subissent les femmes. Notre camp politique a une responsabilité dans la campagne présidentielle qui s’ouvre à entreprendre sérieusement une réflexion sur la place des femmes et de leur vécu dans nos luttes et apporter un débouché à leurs aspirations.

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