« New-York n’est pas à vendre ! » Leçons de la campagne de Zohran Mamdani pour la gauche de rupture
Dans à peine quelques jours Zohran Mamdani peut devenir maire de New-York et c’est une vraie petite révolution. Alors en mission parlementaire aux Etats-Unis (sur les questions de justice fiscale, j’aurai l’occasion d’écrire une note de blog spécifiquement sur le sujet), j’en ai profité pour participer à la campagne de Zohran, le nouveau phénomène politique aux Etats-Unis. Les relations que nous entretenons avec lui et son courant politique (Democratic Socialist of America, un courant au sein des démocrates) ne datent pas d’aujourd’hui mais participer directement à la campagne m’a permis de tirer un certain nombre de leçons qui peuvent être intéressantes pour la gauche de rupture des deux côtés de l’Atlantique.
Ces élections municipales se tiennent évidemment dans un contexte particulier avec le second mandat de Donald Trump et un niveau de répression et d’atteinte aux fondements démocratiques sans précédent aux Etats-Unis. La victoire de Zohran serait une immense bouffée d’espoir pour les américains mais aussi pour tous ceux qui, à travers le monde, cherchent les meilleurs moyens de résister à la vague réactionnaire d’extrême-droite.
Un candidat qui dérange l’establishment
Zohran Mamdani n’a pas peur de déranger. Les riches qu’il veut taxer. Les médias qu’il interroge sur leur indépendance. Les démocrates qu’il secoue par sa radicalité. Les racistes qui ne cessent de cibler à cause de ses origines et de sa religion musulmane assumée. Alors forcément les forces de l’establishment paniquent et déversent des millions de dollars pour lui barrer la route - plus de 20 millions de dollars dépensés par les soutiens de son opposant Cuomo, un record ! Le Washington post, détenu par Jeff Bezos, qualifie sa probable victoire « de mauvaise nouvelle pour New-York ». Même Donald Trump s’en mêle et l’a accusé de « communiste fou » et a mis en doute sa nationalité états-unienne en expliquant qu’il avait immigré aux US de manière illégale.

Un nouvel air dégagiste
Mais cette rhétorique, usée jusqu’à l’os, bute sur la réalité électorale. Le principal adversaire de Zohran Mamdani, Andrew Cuomo, a dû démissionner il y a quatre ans pour ses harcèlements s*xuels. Eric Adams, le maire sortant est poursuivi pour corruption. Il s’est soudainement retiré de la course en apportant son soutien à Andrew Cuomo. Il y a de bonnes raisons de penser qu’il y a été incité par Donald Trump en échange de l’abandon des charges qui pèsent contre lui.
Sauf qu’Andrew Cuomo et Eric Adams ont le point commun d’être également démocrates et d’avoir perdu l’élection primaire qui a eu lieu il y a quelques mois, et se sont pourtant lancés dans la campagne de manière indépendante. Preuve, s’il en fallait (suivez mon regard…), qu’une élection primaire entre des candidats qui ne sont pas d’accord entre eux est vouée à l’échec.
Toutes ces magouilles et tambouilles dégoûtent de la politique. Il y a à New-York un vrai ras-le-bol de ces politiques qui se servent avant de servir les habitant.es. Zohran incarne l’antithèse de tout cela, un modèle d’intégrité dans un océan d’affaires, et un outil pour dégager toute cette vieille classe politique. C’est aussi sur cette vague dégagiste que Zohran Mamdani a construit sa campagne et son succès.

Une campagne de terrain
Parce qu’Andrew Cuomo a peut-être l’argent (et notamment certains grands donateurs qui ont aussi financé… Trump) mais Zohran Mamdani a les gens.
Quand il a démarré sa campagne pour la primaire démocrate il y a un peu plus d’un an, il n’était guère crédité que de quelques pourcents. Mais il a réussi, contre toute attente, à renverser la table. Pas à coups de millions de dollars, mais avec un vrai travail de terrain.
Plus de 50 000 personnes s’engagent dans la campagne et font du porte à porte et en tout 1% de la population a déjà participé à des actions de campagne. Résultat : une participation record à une primaire depuis 1989. Signe que pour gagner, rien ne sert de rassurer l’establishment mais il est bien plus efficace d’aller reconquérir un électorat éloigné de la politique.
J’ai participé cette semaine à une action de porte à porte (aka. Canvassing dans leur jargon). Au briefing juste avant de partir, plusieurs dizaines de jeunes. Une moyenne d’âge autour de 25 ans. Beaucoup d’entre eux participent pour la 1ère fois à une action de campagne. Ils sont briefés sur les arguments chocs, les questions les plus fréquentes. Les équipes de campagne ont développé une application de campagne qui permet de se diviser les quartiers pour le porte-à-porte et de renseigner, porte par porte, les retours de manière à pouvoir faire un suivi. Comme on a l’habitude de le faire à la France Insoumise, on se divise en petites équipes de 2 ou 3. Mais ici, chacun a une liste d’adresses extrêmement précises (car ils ont accès à des informations que nous n’avons pas, les habitantes et habitants s’enregistrant comme démocrates). Au cours du porte à porte, on rencontre de nombreuses personnes enthousiastes qui ont déjà voté (le « early vote » ouvre une semaine plus tôt et le nombre de votants en « early vote » a explosé, ce qui est plutôt bon signe), dont certains que l’on convainc de venir participer aux actions de campagne. D’autres pensent déjà avoir voté pour Zohran mais il s’agit en réalité des primaires. Le porte à porte sert aussi à indiquer le lieu du bureau de vote et les modalités du vote (pas simples en pratique).
Ce quadrillage millimétré des militants sur le terrain se combine à une présence très importante de Zohran qui mouille la chemise jusqu’au bout. La nuit dernière, il était aux côtés des travailleurs nocturnes (chauffeurs de taxi, infirmières, soignants…).
Quand certains élus font de la politique à coup de planches à billet dans le cénacle des institutions, Zohran Mamdani rappelle que la politique se fait d’abord sur le terrain, au plus de près de celles et ceux que nous devons défendre.

Des propositions radicalement concrètes
Pour défendre les New-Yorkais, Zohran Mamdani porte des propositions concrètes, radicales et claires. Gel des loyers, transports gratuits, crèches publiques, épiceries municipales : autant de priorités qui se retrouvent dans son slogan « A city you can afford » et qui parlent clairement au quotidien des New-Yorkais qui vivent dans une ville hors de prix.
Mais Zohran ne s’arrête pas là. Il est celui qui a levé tous les tabous de la gauche américaine : 1) il n’a pas peur de dire qu’il est un immigré de confession musulmane qui fait de la lutte contre le racisme une de ses priorités; 2) il assume une identité politique socialiste (qui aux États Unis est conçue comme très radicale); 3) et ne détourne pas le regard sur la Palestine. Au contraire, il a promis d’appliquer le mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale et d’arrêter Benjamin Netanyahou s’il revenait à New-York (qui on le rappelle est le siège des Nations Unies).
Une victoire et après ?
Le succès de Zohran Mamdani, c’est donc un peu tout cela à la fois. Une campagne de terrain, des propositions radicalement concrètes, une communication humoristique qui n’hésite pas à retourner les attaques de manière décalée.
C’est grâce à tout cela qu’il devrait pouvoir l’emporter mardi soir (si tout va bien, je suis toujours d’un naturel prudent). Mais les camarades savent que le plus dur restera encore à faire et se préparent au pire. Les forces réactionnaires de l’establishment ne vont pas facilement concéder leur défaite et vont continuer, à coup de millions, leur entreprise de destruction de Zohran et ce qu’il représente. Ils mettront des bâtons dans les roues de ses politiques publiques et Trump a déjà annoncé qu’il pourrait arrêter Zohran s’il venait par exemple à s’opposer aux arrestations opérées par l’ICE, la politique anti-immigration. Les camarades me disaient également qu’il n’est pas exclu que Trump envoie les troupes américaines dans les rues de New York (oui oui l’armée) comme il l’a fait en Californie.
Bref, comme à chaque victoire de la gauche de rupture, le plus dur reste à faire pour pouvoir mettre en oeuvre une politique qui change la vie des gens (ici et maintenant ! :-)). Dans ce cadre, les nouveaux militants mobilisés dans le cadre de la campagne auront certainement un rôle déterminant à jouer.

Mais l’espoir suscité par Zohran Mamdani est déjà immense.La preuve qu’une politique de gauche de rupture est la plus à même d’insuffler un nouvel espoir et de créer une véritable alternative à l’autoritarisme de Trump.
Une leçon pour la gauche aux Etats-Unis, qui se cherche une identité politique. L’échec cuisant de la campagne de Kamala Harris (qui soit dit en passant n’a même pas soutenu officiellement Zohran une fois celui-ci désigné par la primaire) couplé à l’autoritarisme de Trump démontrent la nécessité de sortir du logiciel démocrate traditionnel qui accompagne le libéralisme économique. Pendant qu’une partie des démocrates plaide pour le « libéralisme de l’abondance » (pour mieux soutenir la dérégulation, marchant ainsi dans les pas de Trump), Zohran incarne la nouvelle génération démocrate. Sa victoire surprise à la primaire démocrate illustre le divorce entre la base, plus jeune et progressiste, et son sommet, plus conservateur.
Une leçon pour la gauche aussi en Europe. Ce n’est pas en diluant le libéralisme économique qu’on parviendra à reconquérir l’électorat mais en offrant une réelle rupture avec le monde politique, économique et médiatique actuel.
Alors que j’écris ces lignes quelques heures avant le vote décisif de la taxe Zucman en France : voilà le vent qui souffle depuis l’autre côté de l’Atlantique. New-York n’est pas à vendre. Nos convictions non plus. A bon entendeur.