Assumer les rapports de forces au niveau européen pour mener une politique de rupture : leçons de nos débats avec les écologistes Eric Piolle et Sandrine Rousseau
Notre expérience de parlementaires européens nous a permis d’appréhender avec précisions les leviers dont nous disposons pour appliquer l’Avenir en Commun en France, malgré les blocages européens. Et nous allons nous appuyer dessus pour présenter une stratégie détaillée à l’occasion des présidentielles. Nous sommes pour l’instant les seuls à proposer une véritable stratégie, et l’échange très riche que nous avons eu à ce sujet avec les participants aux AmFis (la vidéo sera bientôt disponible en ligne !) servira de base à la poursuite de ce travail.
L’Union européenne est un point central du débat à gauche, tant elle cristallise les passions comme les désillusions. Se renvoient la balle ceux qui espèrent toujours l’Europe sociale (et risquent de l’attendre encore longtemps…), ceux qui ont voté non en 2005 (et ne veulent plus se faire avoir), ceux qui veulent faire un saut fédéral (quoi qu'il en coûte et quelque soit le projet) et les Frexiteurs obsessionnels (pour qui la sortie de l’Europe est la réponse à tous les maux), etc... Dans ce débat, les positions politiques se résument trop souvent à de simples postures, et les arguments, à déterminer qui serait “anti” ou “pro-européen”.
Est-ce vraiment la meilleure manière d’aborder la question européenne ? Je ne le pense pas. Nous sortons d’un été apocalyptique, fait d’incendies, de températures records et d'inondations. La pandémie a fait davantage exploser les inégalités et les urgences sociales. Nous sommes au pied du mur climatique et au pied du mur social. L’urgence est à l’application d’un programme sérieux de bifurcation, pas à s’écharper sur qui est-ce-que nous sommes “pour” ou “contre” l’Union européenne. Poser la question ainsi nous éloigne collectivement du véritable enjeu : comment mettre en œuvre un programme ambitieux de transformation sociale et écologique en étant lucide sur le cadre actuel de la construction européenne.
A l’occasion des AmFis, nous avons justement voulu avec mon collègue Manuel Bompard, sortir du débat théorique et proposer un exercice inédit à deux candidats à la primaire écologiste : analyser l’Union européenne telle qu’elle est (et non pas telle que certains la fantasment) puis débattre de nos stratégies respectives pour dépasser les problèmes et blocages qu’elle pose. Nous avons donc accueilli tour à tour Eric Piolle et Sandrine Rousseau, qui se sont prêtés à l’exercice avec nous (ce pour quoi je les remercie à nouveau) avec une seule consigne : parler concrètement d’une stratégie européenne de gouvernement, pour appliquer un programme de rupture, qui entrera en conflit avec de nombreux règles européennes.
Force est de constater à la suite de ces échanges que nous partageons un même constat : de nombreuses règles européennes sont incompatibles avec des mesures de progrès humain et écologique. Eric Piolle comme Sandrine Rousseau déplorent l’absence d’harmonisation sociale, le laxisme européen envers les paradis fiscaux, la faiblesse des engagements climatiques, le carcan austéritaire, l’absence de contrôle démocratique de la politique monétaire. Etc. ! Jusque là, on est globalement d’accord (malgré quelques nuances notamment sur l’opportunité d’une Europe de la défense défendue par Sandrine Rousseau) .Nous dénonçons ces blocages depuis des années et nous sommes heureux de constater que les autres forces à gauche finissent progressivement par se rallier à notre analyse.
Mais dresser ce constat ne suffit pas. Une fois que nous avons identifié les blocages européens pour appliquer un programme de progrès social et écologique, il faut bien définir une stratégie pour les dépasser. Sinon, nous sommes condamnés à faire du Hollande et trahir ses engagements de campagne. Et c’est là que nous avons de vraies divergences avec les deux candidats à la primaire des verts. En pratique, ils ont finalement peu de réponses concrètes à apporter à notre interrogation. Eric Piolle a évoqué la possibilité de “réinterpréter” les traités, sans préciser néanmoins comment il comptait s’y prendre, et en restant flou sur son plan pour faire face à d’éventuelles sanctions ou menaces. Sandrine Rousseau semble prête à aller un peu plus loin en concédant que la désobéissance et le rapport de force peuvent être des outils nécessaires… mais en refusant d’assumer de le faire seuls si nécessaire.
Et c’est pourtant le cœur du débat. Nous ne listons pas des blocages par plaisir, mais parce qu'ils nous empêcheraient d’appliquer notre programme. Et les incompatibilités sont nombreuses :
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le protectionnisme solidaire avec les traités de libre-échange
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la création de pôles publics industriels, les aides d’Etat pour orienter l’économie ou la primauté à la production biologique et locale dans les marchés publics avec le droit à la concurrence européen
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l’investissement massif dans la bifurcation écologique et sociale avec le carcan austéritaire européen
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la lutte contre les paradis fiscaux avec l'interdiction de prendre des sanctions économiques et commerciales contre d'autres États membres
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la lutte contre le dumping social avec les directives actuelles sur le travail détaché
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le passage à une agriculture bio et paysanne avec le cadre actuel de la politique agricole commune
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la sortie de l'OTAN avec l’Europe de la défense
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Seule une analyse lucide de ces blocages et opportunités au niveau européen nous permettra de mettre en œuvre notre programme . Manuel Bompard et moi avons donc présenté deux stratégies qui permettraient de faire bouger les lignes collectivement au niveau européen… ou d’appliquer notre programme dans tous les cas. Il faut d’abord assumer des rapports de force au Conseil en utilisant la palette d’outils à notre disposition : chaise vide, blocage du budget, suspension de la contribution financière française, etc. Il faut en parallèle assumer de désobéir aux règles qui nous empêchent de respecter notre programme, obtenir des dérogations, mener des batailles juridiques, etc.
Notre expérience de parlementaires européens nous a permis d’appréhender avec précisions les leviers dont nous disposons pour appliquer l’Avenir en Commun en France, malgré les blocages européens. Et nous allons nous appuyer dessus pour présenter une stratégie détaillée à l’occasion des présidentielles. Nous sommes pour l’instant les seuls à proposer une véritable stratégie, et l’échange très riche que nous avons eu à ce sujet avec les participants aux AmFis (la vidéo sera bientôt disponible en ligne !) servira de base à la poursuite de ce travail. Pour la campagne présidentielle de 2022, nous comptons bien sortir des débats idéologiques pour avoir un vrai débat de fond sur l’enjeu européen !