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Interview pour Marianne : "Il faudra sevrer l'Union européenne du libre-échange"

Billet d'humeur 8 décembre 2023

Cheffe de file de La France insoumise (LFI) pour les élections européennes de juin 2024, l'eurodéputée Manon Aubry souhaite placer la campagne à venir sous le signe du protectionnisme économique et de l'opposition à un élargissement de l'Union européenne (UE) favorisant le dumping social. L'insoumise a répondu aux questions de « Marianne » sur ces enjeux cruciaux.

Interview publiée dans Marianne.

Marianne : Vous souhaitez orienter la campagne insoumise des européennes sur l’industrie, le protectionnisme, l’élargissement… Soit, mais comment parler de ces sujets quand l’actualité politique est dominée chaque semaine par la dernière outrance du fondateur de La France insoumise ?

Manon Aubry : Quelle est la préoccupation majeure des Français ? Le coût de la vie, l’inflation, le fait de pouvoir vivre dignement de son travail, d’éviter que notre industrie mette la clef sous la porte, de refuser que les travailleurs soient sacrifiés. Ce sont ces thèmes qui résonnent dans le quotidien des gens. Qui est le groupe qui a bataillé contre le dumping social au sein de l’Union européenne (UE) et contre la multiplication des accords de libre-échange ? C’est nous ! Ce dont on parle sur nos réseaux, dans nos interviews, c’est de la vie chère, avec des solutions comme la taxation des superprofits, le blocage des marges et des prix des produits de première nécessité, etc.

Précisément, ne devenez-vous pas inaudibles sur ces sujets ? La bande passante est saturée…

Que certains médias veuillent détourner l’attention de ces sujets et de ces préoccupations brûlantes du quotidien, c’est évident. C’est également le cas du reste de la classe politique, au point que le troisième personnage de l’État, le président du Sénat Gérard Larcher, demande à Jean-Luc Mélenchon de « fermer sa gueule » sans que personne ne trouve rien à y redire ! Moi, je me bats pour imposer nos sujets dans la sphère médiatique. L’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande par exemple : nous sommes les seuls à en parler et à nous être mobilisés contre. C’est une absurdité écologique et sociale de faire venir du lait de l’autre bout de la planète alors qu’on en produit déjà assez ici.

Nous refusons aussi les semeurs de division et de haine. Nous assumons le combat contre toutes les formes de racisme, nous condamnons les actes antisémites et les actes islamophobes. Nous sommes le camp du commun et de la protection, sur tous les sujets.

Dans votre programme pour les européennes 2019, on pouvait lire : « Nous devons sortir des traités européens actuels, qui alimentent le dumping social et fiscal et nous forcent à mener des politiques d’austérité, à anéantir nos États et ses investissements publics. » Pensez-vous toujours que la sortie des traités actuels soit le préalable de la restauration de la souveraineté industrielle et la condition d’une politique protectionniste ?

Le libre-échange est inscrit en toutes lettres dans l’article 206 du Traité de fonctionnement de l’UE, qui institue l’objectif du libre-échange globalisé. L’UE actuelle organise la concurrence du tous contre tous en son sein par le refus d’harmoniser les droits sociaux et un élargissement qui alimente le dumping social. Et la mise en concurrence avec le reste de la planète par des accords de libre-échange. Donc oui, il faut bien évidemment remettre en question ce dogme, dont on s’est rendu compte qu’il nous conduisait dans le mur pendant la crise du Covid-19. Macron lui-même avait reconnu que dépendre des autres pour se soigner et se nourrir était une folie. Le même applaudit pourtant le traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande ! Nous, nous sommes clairs. On vote et votera contre tous les accords de libre-échange au Parlement européen. Et si l’on accède au pouvoir, on désobéira en France aux règles de concurrence qui nous empêchent de réindustrialiser le pays et de relocaliser l’économie.

Êtes-vous favorable au développement d’accords économiques multilatéraux entre pays européens qui éviteraient la case Bruxelles ?

Nous avons toujours dit que l’idéal était de se mettre d’accord à Vingt-Sept, mais que sinon, il fallait le faire avec le plus grand nombre de pays possible. Nous organisons nos dépendances et notre vulnérabilité en matière industrielle et agricole : à l’intérieur de l’UE avec l’élargissement et à l’extérieur avec les accords de libre-échange. Il est hors de question que nous restions les idiots utiles de la mondialisation. Il faudra donc assumer des rapports de force, ne plus être cette gauche naïve qui promet des choses à l’échelle européenne sans jamais s’en donner les moyens politiques.

Vous affirmiez récemment que « la réalité vous avait donné raison » avec l’accumulation des crises sanitaire, énergétique, économique, climatique, géopolitique, laquelle démontrerait que « l’austérité, le tout-marché et le libre-échange amènent le chaos ». La réalité européenne, c’est également le blocage d’un certain nombre de textes protectionnistes et sociaux par quelques pays : l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Irlande, etc. Comment comptez-vous changer cet état de fait ?

La clef, c’est d’assumer des rapports de force. D’abord en utilisant le poids politique de la France, son poids économique, agricole, industriel, démographique. La France n’est pas un nain, c’est la deuxième économie européenne, il ne faut pas qu’elle renonce à sa puissance et utilise la désobéissance ciblée à certaines règles européennes comme un levier pour faire bouger les lignes. On ne fera pas bouger les États frugaux et austéritaires en leur demandant gentiment. Il faut hausser le ton et prendre nos responsabilités !

Vous admettez volontiers que les intérêts des pays européens divergent : de ce fait, votre protectionnisme est-il national ou européen ?

Les deux sont complémentaires. Vous partez du local pour aller à l’échelon européen, qui est celui auquel s’organise l’état de dépendance généralisée. Notre but, c’est évidemment de relancer l’industrie française, mais l’échelon européen a aussi du sens sur certains domaines. Ça doit être au cas par cas. Cela nécessite à la fois un investissement et un soutien stratégique à certains secteurs industriels comme les énergies renouvelables – il n’y a par exemple plus qu’une seule usine de production de panneaux solaires en France – mais également de favoriser la production locale dans la commande publique.

Sur la scène européenne, il faudra organiser un sevrage des accords de libre-échange auxquels l’UE est complètement droguée. Évidemment, ça s’oppose aux intérêts d’un certain nombre d’États : si l’Allemagne fait pression pour accélérer la signature d’accords de libre-échange, par exemple avec le Mercosur, c’est pour vendre ses voitures. Ça sera sans nous.

Vous affirmez porter le programme de la Nupes aux élections européennes : celui-ci ne dit rien de l’élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine ou la Moldavie, sur lequel PS et LFI ont des positions opposées. N’est-ce pas une illustration a posteriori de l’incompatibilité fondamentale des différentes composantes de la Nupes sur les questions internationales ?

Être de gauche, c’est être contre le dumping social, environnemental, fiscal et c’est écrit en toutes lettres dans le chapitre européen du programme de la Nupes. Élargir l’UE sans harmonisation préalable des normes, c’est élargir le champ du dumping et c’est renforcer la concurrence de tous contre tous.

Je demande aux socialistes : on fait comment par exemple avec la Moldavie, où le salaire minimum est de 220 euros par mois ? On accepte que tous les salaires soient tirés vers le bas dans le reste de l’Europe ? Que l’Europe de l’Est devienne notre usine à sous-traitance ? On fait comment en Macédoine et en Bosnie, où le taux d’imposition des entreprises est même plus bas qu’en Irlande ? On crée de nouveaux paradis fiscaux au sein de l’UE ? On ne peut pas être de gauche et défendre cela.

Comment conduire une politique protectionniste sans unité politique, sans vision stratégique claire et d’accord sur ce que seraient des « intérêts fondamentaux européens » ? Nous n’arrivons pas à le faire pour la diplomatie, comme l’ont montré l’Ukraine ou le conflit israélo-palestinien. Pourquoi y arriverait-on pour l’industrie ?

Il y a eu sur ce point une prise de conscience dans l’urgence au moment du Covid-19 et avec la guerre en Ukraine. Le concept de protectionnisme et de relocalisation, qu’on était bien seuls à porter jusque-là, est entré dans les débats, mais l’Europe n’a fait que se poser des questions, elle n’y a pas répondu par des actes. Maintenant, il faut se donner les moyens d’agir, par exemple avec des ressources propres (taxe sur les transactions financières, etc.) qui permettent d’investir réellement dans l’appareil productif. Et il faut assumer une planification industrielle écologique, accompagnée de mesures protectionnistes. On pourrait le faire dès maintenant en France pour montrer l’exemple.

Si vous attendez que les Vingt-Sept soient exactement d’accord sur la bonne politique industrielle, vous pouvez attendre longtemps. Mais on peut agir en éclaireur, créer des coalitions et agréger de plus en plus de pays. Regardez par exemple ce qu’ont réussi à faire le Portugal et l’Espagne face à l’explosion des prix de l’énergie : ils ont forcé la Commission européenne à accepter qu’ils dérogent aux règles du marché de l’électricité ! Si on veut obtenir des ruptures, on doit se battre pour.

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