Pologne vs. Commission européenne : faux débats, vrais dangers
Pour notre part, nous défendons la démocratie et les droits fondamentaux des peuples contre l’autoritarisme d’extrême-droite qui progresse partout en Europe. Mais nous ne tolérons pas les tentatives de la Commission européenne d’instrumentaliser cette lutte essentielle pour faire primer le droit européen sur la constitution des Etats membres.
Depuis quelques jours, une décision du Tribunal constitutionnel de la Pologne qui veut empêcher les juges polonais d’appliquer le droit européen a mis le feu aux poudres européennes. Résumée comme une remise en cause du droit européen, la décision du Tribunal vise surtout à rejeter l'utilisation du droit européen pour s'opposer à la nomination de juges à la solde du gouvernement d'extrême-droite. L’emballement politique et médiatique n’a pas tardé, avec son lot d’erreurs et de sur-réactions. Sur un sujet qui mérite pourtant un débat sérieux.
D’un côté, les Zemmour, Le Pen et même Valérie Pécresse ont applaudi sans réserve, passant sous silence le fait que cette décision est une nouvelle étape du grave glissement autoritaire de la Pologne. Arnaud Montebourg a commis l’erreur de faire de même, s’emparant du sujet avec opportunisme sans en saisir la véritable portée et se plaçant ainsi dans les pas de l’extrême-droite. De l’autre, la Commission européenne et ses soutiens fédéralistes se sont insurgés de manière caricaturale, brandissant l’idole d’une primauté absolue du droit européen sur le droit national. Qui est un pur fantasme de leur part, j’y reviendrai.
En ce qui nous concerne, nous devons bien analyser la situation et tracer une autre voie : celle d’une opposition inlassable contre l’extrême droite qui attaque la démocratie partout en Europe, tout en protégeant notre capacité à mettre en œuvre un programme social et écologique radical incompatible avec certaines règles européennes actuelles.
Il faut d’abord comprendre d’où vient cette attaque. La passe d’armes juridique est en réalité le fait du parti d’extrême-droite au pouvoir, le PiS, qui après avoir fait campagne sur des questions sociales a vite fait tomber ses masques et a renoué avec sa véritable ligne politique, autoritaire et réactionnaire.
Pour réaliser ce coup de force, le PiS a commencé par s’attaquer au principal contre-pouvoir institutionnel encore en mesure de protéger les droit fondamentaux et constitutionnels des polonais : la justice. Dès 2016, le PiS réalise un mini-coup d’Etat et impose cinq juges constitutionnel à sa solde. Le PiS poursuit depuis son coup d’Etat judiciaire en écartant de nombreux juges et en abusant des pouvoirs de nomination et de sanctions des magistrats. Le Tribunal constitutionnel, présidé par une amie du président et composé en grandes parties de juges désignés illégalement, est aujourd’hui une marionnette du pouvoir. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a d’ailleurs récemment rendu une décision qui constate la composition illégale de cette cour. La justice polonaise, soumise au pouvoir du PiS, ne peut donc plus protéger les droits fondamentaux des citoyens.
À tel point que le Tribunal constitutionnel est désormais instrumentalisé pour faire parfois le sale boulot que le gouvernement n’arrive pas à réaliser seul. Par exemple sur le droit à l’avortement, déjà extrêmement limité en Pologne : en octobre 2020, le Tribunal constitutionnel a tout simplement jugé l’avortement inconstitutionnel, dans la quasi-majorité des cas, au nom de la protection… de la diginité humaine. Un jugement très politique qui a provoqué une mobilisation populaire massive des femmes polonaises à travers des manifestations de plusieurs centaines de milliers de personnes.
Loin de s’arrêter à l’attaque des droits des femmes, l’extrême-droite polonaise s’en prend à tout le monde et va toujours plus loin : contre les personnes LGBTI, les migrants, la presse. Et c’est dans ce contexte que s’est engagé le bras de fer avec Bruxelles. Quand le premier ministre polonais a demandé à son Tribunal constitutionnel "marionnette" de lui donner un appui juridique pour empêcher les juges de se raccrocher aux branches du droit européen pour contrer les dérives du PiS. Il faut donc bien comprendre que cette décision judiciaire n’est pas celle d’une justice indépendante, mais un coup politique autoritaire qui vient parachever la mise au pas du pouvoir judiciaire.
Mais au lieu de dénoncer à raison l’illégitimité du Tribunal constitutionnel et l’autoritarisme de l’extrême-droite polonaise, la Commission européenne et ses soutiens ont sauté sur l’occasion pour affirmer la primauté absolue du droit européen sur les droits nationaux et notamment sur leurs fondements : les constitutions. Feignant d’ignorer ce qu’ils savent très bien au fond : pour tous les États membres de l’Union européenne, la constitution prime bien évidemment sur le droit européen.
La cour constitutionnelle allemande est la première à le rappeler en contestant certaines politiques économiques européennes. Mais les juridictions suprêmes françaises l'affirment aussi, pour la simple et bonne raison que la constitution est l’émanation la plus directe de la souveraineté populaire,contrairement au droit européen. Même les traités européens le disent ! “L’Union respecte l’égalité des Etats membres devant les traités ainsi que leur identité nationale, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles” (article 2 TUE) !
Pour notre part, nous défendons la démocratie et les droits fondamentaux des peuples contre l’autoritarisme d’extrême-droite qui progresse partout en Europe. Mais nous ne tolérons pas les tentatives de la Commission européenne d’instrumentaliser cette lutte essentielle pour faire primer le droit européen sur la constitution des Etats membres. Ou sur nos engagements internationaux en faveur du climat (Accords de Paris) ou des droits sociaux (conventions de l’Organisation internationale du travail). Cela mérite une analyse un peu plus précise et nuancée que les Zemmour, Le Pen ou Montebourg d’un côté et la Commission européenne de l’autre et voilà à quoi sert également notre travail au niveau européen. Puissent ces quelques lignes nourrir et éclairer un débat plus que jamais nécessaire.
En 2022, nous opposerons à l’extrême-droite un programme radicalement démocratique, social et écologique. Le mandat populaire que nous aurons obtenu dans les urnes nous donnera la légitimité pour réaliser ce programme coûte que coûte. Et notre insoumission à l’Union européenne aura pour unique objectif d’étendre les droits sociaux et environnementaux, et non de détruire les libertés individuelles et les gardes fous démocratiques comme le fait la Pologne. Nous n’accepterons donc pas que l’Union européenne nous en empêche, sous prétexte d’une primauté absolue du droit européen. L’adoption d’une constitution pour une VIème République sera également l’occasion de placer les biens communs, les protections sociales et la règle verte au cœur de l’identité constitutionnelle française, hors de portée des dogmes de Bruxelles. C’est par le dialogue démocratique, le rapport de force et la désobéissance que nous entendons protéger les intérêts sociaux et environnementaux des citoyens français et, en éclaireurs, les mettre au centre de la discussion européenne.