Révolte des quartiers populaires : le retour au calme ne se décrètera pas, il se construira avec des réponses politiques
Depuis la mort tragique de Nahel, tué par un policier, et une situation qui s’embrase dans beaucoup de coins de France, les télés sont en boucle sur “comment revenir au calme”. J’y ai eu droit hier sur LCI, juste après la marche marche blanche à Nanterre en hommage à Nahel. À la suite de ce vibrant moment d’unité, d’émotion et de colère, je souhaitais revenir sur les causes de la révolte à laquelle nous assistons, partager les mots que j’ai entendus dans ce rassemblement, mais je n’ai pas pu.
“Est-ce-que vous appelez au calme ?”
“Condamnez-vous les violences? Appelez-vous au calme?” Qu’importe ma réponse, ces mêmes questions me sont répétées inlassablement. Jusqu’à l’affirmation qu’ils répètent en boucle “la France insoumise n’encouragerait-elle pas les violences ?”. Pardon ? Qui a tiré sur le jeune Nahel ? Qui a adopté la loi de 2017 facilitant le recours des policiers à leurs armes à feu ? Qui a abandonné les quartiers populaires depuis tant d’années ?
Bien sûr que je souhaite le calme. La France Insoumise a toujours été contre les stratégies de violence en politique. Nous l’avons dit sur tous les tons, sur tous les plateaux, depuis toujours. La question posée aujourd’hui n’est pas de se satisfaire ou pas du chaos, personne ne le souhaite. Ce qui doit nous importer, en tant que responsables politiques, c’est comment sortir de cette situation par le haut. Et ce ne sont pas des appels à la télé qui vont nous le permettre, mais l’analyse des causes de la révolte et des problèmes majeurs auxquels il faut s’attaquer. Le calme ne se décrète pas, il se construira avec des réponses politiques.
La mort de Nahel est la mort de trop.
Évidemment, les images et vidéos des deux derniers soirs sont saisissantes. Évidemment, c’est un crève-cœur de voir des écoles ou des bibliothèques partir en feu. Évidemment, j’ai une pensée pour les habitants et les élus locaux qui font face à des situations très difficiles. Évidemment, on souhaiterait tous que ces deux derniers jours n’aient pas eu lieu. Mais ils ont eu lieu. Et ils nous disent quelque chose. À la marche, dans la marée humaine en soutien à la famille de Nahel et à ses proches, j’ai entendu ces mots : “la mort de Nahel est la mort de trop, on en peut plus de compter nos morts.’” C’est cette colère accumulée qui se libère aujourd’hui. Il s’agit de l’entendre, et de la comprendre. Les appels au calme ne suffiront pas : il faut des réponses politiques.
Les habitants des quartiers populaires sont en proie aux violences policières, aux discriminations et à l’impunité des forces de l’ordre depuis des décennies. Les méthodes de maintien de l’ordre les plus brutales y sont expérimentées avant d’être importées en centre-ville, comme ce fut le cas pour les gillets jaunes. Le meurtre de Nahel n’est pas un cas isolé ou une bavure policière conjoncturelle. Il est le résultat de choix politiques qui affectent prioritairement les corps des personnes racisées. Avant lui il y a eu Zyed et Bouna, Aboubakar, Adama, et tant d’autres. Mais pour eux, il n’y a pas de vidéo. Comme je l’ai vu sur une affiche à la marche de Nanterre, combien de Nahel n’ont pas été filmés ?
Le racisme : un problème structurel dans la police
Dans les quartiers, le racisme se vit au quotidien. Une enquête du Défenseur des droits indique qu’un jeune homme perçu comme noir ou arabe a 20 fois plus de chances de se faire contrôler. 97% des contrôles n’aboutissent d’ailleurs à rien et relèvent seulement de l’intimidation. Ces jeunes sont considérés comme des ennemis a priori, ils sont “tuables” comme Nahel, car comme l’écrit l’écrivaine Kaoutar Harchi, “pesait sur lui l’histoire française de la dépréciation des existences masculines arabes. Il pesait sur Nahel le racisme. Il y était exposé. Il courait ce risque d’en être victime. La domination raciale tient tout entière en ce risque qui existe.” Les relations dégradées entre la police et la population ne viennent pas de nulle part.
Le principal syndicat policier Alliance a d’ailleurs rajouté encore de l’huile sur le feu aujourd’hui en se déclarant “en guerre” contre les habitants des quartiers, qualifiés de “nuisibles à mettre hors d’état de nuire”. Et osait même appeler à la “résistance” des policiers contre l’Etat républicain, reprenant le discours factieux de l’extrême-droite autoritaire et raciste.
Rien n’a été fait face à la misère sociale dans les quartiers populaires
Au-delà de l’institution policière, c’est l’abandon des banlieues par l’État qui est aussi en cause. Hasard du calendrier, la mort de Nahel intervient alors qu’Emmanuel Macron est à Marseille pour présenter les contours de son plan pour les banlieues et les quartiers prioritaires. Les élus locaux et les acteurs associatifs déplorent la succession de rendez-vous manqués du chef de l’État en la matière. Celui qui a pourtant évoqué la “France des quartiers assignée à résidence” lors de sa première campagne présidentielle en 2017 n’a concrètement rien fait pour lutter contre les inégalités qui la rongent, au contraire : diminution du budget de la politique de la ville, baisse des APL, restriction du recours aux emplois aidés, plan Borloo mis à la poubelle.
Les habitants des quartiers sont en première ligne face à l’inflation et au chômage. En 2022, selon l’INSEE, la moyenne du taux de chômage dans les quartiers prioritaires en France est de 16,5% pour les femmes et de 19,6% pour les hommes alors que le taux moyen en France est de 7,1% pour les femmes et 7,5% pour les hommes. Selon l’observatoire des inégalités, 44% de la population des quartiers prioritaires vit sous le seuil de pauvreté et le revenu médian est de 1168 euros contre 1822 euros moyenne française. Les habitants des quartiers populaires, déjà vulnérables économiquement, sont aussi les premières victimes des réformes de Macron (ordonnances travail, réforme du chômage, des retraites…) rendant encore plus difficile l’accès à l’emploi et aux aides sociales. Et ils sont en première ligne face à l’inflation alimentaire qui a touché en priorité les plus précaires.
Il faut une réponse politique et un plan d’urgence “Justice Partout”
Lorsqu’on prend le problème avec de la hauteur et en intégrant ces éléments, on comprend bien que l’étincelle allumée par le meurtre de Nahel ne saura être éteinte par une réponse strictement sécuritaire. Ce sont des fusées de détresse qu’envoient les habitants des quartiers partout en France et on ne répond pas à un problème politique structurel par la BRI, le GIGN ou l’état d’urgence. Ce dont nous avons besoin c’est de réponses politiques à la hauteur de la situation et en cohérence avec les demandes des premiers concernés. Les habitants ne sont pas des enfants, l’Etat n’est pas leur tuteur. Il faut donc des actes forts, de considération et de justice.
Il est urgent de mettre en place un plan d’urgence “Justice partout”. Véritable permis de tuer, l’article 435-1 du Code de la sécurité intérieure issu de la modification législative de 2017 doit être abrogé. Il est responsable de l’explosion des décès suite à des refus d’obtempérer. Les policiers ont tué quatre fois plus de personnes pour ce motif en 5 ans que lors des 20 années précédentes. Il faut créer une commission d’enquête sur les violences policières ayant entraîné la mort ou la mutilation de citoyens pour en établir toutes les responsabilités. Il faut une police républicaine mieux formée et débarrassée du racisme. Même l’ONU a demandé aujourd’hui à la France de se pencher "sérieusement" sur les "profonds problèmes de racisme et de discrimination raciale" au sein des forces de l'ordre. Il faut remplacer l’IGPN par un organisme indépendant, interdire les techniques d’immobilisation létales, instaurer une véritable police de proximité, s’inspirer des autres pays européens et penser la désescalade, etc. Et il faut bien sûr en parallèle rétablir l’égalité entre les quartiers populaires et le reste du pays : en investissant dans les services publics, la rénovation des logements, le tissu associatif, etc.
Voilà ce qu’Emmanuel Macron aurait dû annoncer aujourd’hui, pour donner des gages, démontrer qu’il était prêt à écouter et à agir. Il a préféré en rajouter dans la surenchère de répression et nous sortir des déclarations de café du commerce sur la responsabilité des jeux vidéos, des parents et des réseaux sociaux. C’est lui en fait qui vit dans une réalité parallèle.
Je le redis : j’espère que le calme reviendra le plus rapidement possible. Mais il ne reviendra pas avec un retour “à la normale” car la normalité n’est plus acceptable pour les quartiers populaires. Il ne reviendra qu’avec des réponses politiques, qu’avec la justice sociale et l’égalité.