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Guerre commerciale de Trump : ripostons d’abord puis rompons avec le libre-échange

Tribune 10 avril 2025

Face aux hausses des droits de douane, l’UE peut restreindre les importations en provenance des Etats-Unis, empêcher l’accès des entreprises américaines aux marchés publics et soutenir les travailleurs touchés. Et à terme mettre en place un protectionnisme écologique et solidaire, plaide la vice-présidente (LFI) de la commission du commerce international du Parlement européen.

Lien vers la tribune publiée dans le journal Libération.

C’est un bouleversement considérable qui ouvre une nouvelle ère des relations économiques et commerciales internationales : la mise en place de droits de douane sur toutes les marchandises importées aux Etats-Unis, y compris les produits européens, est une détonation majeure qui signe l’amorce d’une guerre commerciale généralisée. Il n’y a évidemment pas lieu de s’en réjouir : cette escalade tarifaire abrupte et indiscriminée est susceptible d’avoir des répercussions significatives pour les travailleurs de certains secteurs économiques et sur l’inflation.

Aussi l’Union européenne doit-elle sortir de sa torpeur et utiliser sans attendre tous les leviers dont elle dispose pour enclencher le rapport de force et protéger ses industries. Premièrement, l’UE doit mettre en place immédiatement des droits de douane ciblant stratégiquement certains produits américains. Ensuite, elle doit déclencher l’instrument européen anti-coercition qui permet par exemple de restreindre les importations en provenance des Etats-Unis ou d’empêcher l’accès des entreprises américaines aux marchés publics européens. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’y refuse pour l’instant en espérant obtenir la mansuétude de Donald Trump. Qui peut pourtant croire qu’il reviendra en arrière ? Enfin, la riposte doit aussi viser les géants du numérique (Meta, Amazon, Apple, Google, Microsoft, X, etc.) et leurs patrons milliardaires étroitement liés à Donald Trump, qui se jouent des réglementations européennes et échappent largement à l’impôt en Europe. Les droits de douane additionnels récoltés, les éventuelles amendes et taxes devraient être redirigés vers le soutien aux travailleuses et travailleurs affectés par la guerre commerciale.

Voilà pour la réponse de court terme. Néanmoins, nous ne serions pas à la hauteur de ce moment historique si nous nous contentions d’essayer de limiter la casse ou d’appliquer la loi du talion. Cette nouvelle donne est l’occasion de remettre à plat l’ensemble de la politique commerciale de l’Union européenne. Un virage à 180 degrés qui doit avoir pour but de réduire nos dépendances économiques et de limiter l’exposition de nos sociétés aux soubresauts géopolitiques et à l’instabilité des chaînes de valeur mondiales. Car ce n’est pas un hasard si nous sommes aujourd’hui si vulnérables face à Donald Trump : nos économies sont aujourd’hui totalement dépendantes de débouchés à l’international, et nous sommes par ailleurs de plus en plus tributaires de la production des autres pays pour répondre à nos propres besoins les plus élémentaires (médicaments, textile, machines, électroménager, électronique, alimentation, etc.). Dépendance aux exportations et dépendance aux importations sont en réalité les deux faces d’une même pièce, celle du libre-échange.

Depuis des décennies, le libre-échange favorise en effet une division internationale de la production toujours plus poussée au nom de la compétitivité et de la croissance. De nombreux secteurs et travailleurs en ont fait les frais, en témoigne la désindustrialisation massive de l’ensemble du continent européen depuis les années 1970. L’économie française compte désormais sur une poignée de fleurons industriels pour compenser la masse des importations et endiguer la dégringolade d’une balance commerciale largement déficitaire (-81 milliards d’euros en 2024). Elle est donc à la merci de menaces sur ces quelques filières très performantes à l’exportation, parmi lesquelles l’aéronautique et le spatial (57,9 milliards d’euros en 2024), les parfums et cosmétiques (24,9 milliards d’euros) et certains produits agroalimentaires dont le vin et les spiritueux (16 milliards d’euros).

Ce modèle dépassé est instable et dangereux. Comment d’ailleurs ne pas voir dans la casse sociale qu’il a engendrée un des vecteurs du trumpisme et de la montée des extrêmes droites partout en Europe ? Mais loin d’envisager une relocalisation des économies européennes, la Commission européenne prend au contraire plus que jamais le parti inverse de l’augmentation perpétuelle des flux commerciaux internationaux. Les accords de libre-échange qu’elle signe à chaîne depuis des années (Japon, Vietnam, Nouvelle-Zélande, Chili, Kenya, etc.) et ceux qu’elle a dans ses cartons (Mercosur, Mexique, Inde, Thaïlande, Malaisie, etc.) visent tous à accélérer cette tendance. Ainsi, comme le prévoit l’accord avec le Mercosur, nous importerons davantage de bœuf brésilien et continuerons d’importer la moitié de nos fruits et légumes, pendant que 43% de nos terres agricoles sont dédiées à l’exportation. Une absurdité ! Sans même parler de la catastrophe climatique qui impose en réalité de réduire de manière drastique les émissions liées au grand déménagement des productions.

C’est donc une certitude : nous devons rompre avec le libre-échange. Et cela passe par un horizon : la relocalisation et la réindustrialisation planifiées en partant des besoins. Certains diront que ce n’est pas le moment, qu’il y plus urgent. Au contraire. Il y a urgence à repenser entièrement les manières de produire, d’échanger, et consommer. Des choix qui ne doivent pas être confiés au marché, mais à la société dans son ensemble, dans le cadre d’un processus démocratique : Que produit-on ? Ce qui est rentable ou ce qui est nécessaire ? Où produit-on ? Comment produit-on, et en quelle quantité ? Voilà, les bonnes questions à se poser, collectivement. Et voilà des questions sur lesquelles des dirigeants politiques thuriféraires du libre-échange n’ont le droit de faire ni l’impasse ni l’autruche. Emmanuel Macron avait pris des accents graves pendant la pandémie de Covid-19 sur la «folie» que représente le fait de «déléguer à d’autres» notre alimentation et notre capacité à soigner. De toute évidence, il n’a jamais eu l’intention de changer d’un iota cette orientation.

Notre stratégie est aux antipodes de celle de Trump, dont le projet économique sert uniquement les intérêts des Etats-Unis et de sa classe dominante. Face à sa guerre commerciale indiscriminée, nous opposons un contre-modèle durable : le protectionnisme écologique et solidaire en coopération avec les pays du Sud global. Les options qui s’offrent à nous sont simples : l’indépendance ou la servitude. Faisons le bon choix.

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