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Sauvons la taxe Zucman des coups de ciseaux gouvernementaux

Tribune 26 septembre 2025

Un consensus populaire, politique et scientifique. Pourquoi donc le Gouvernement cherche-t-il à saboter la taxe Zucman ?

Depuis la rentrée politique, on ne cesse de nous agiter la nécessité de “rigueur budgétaire” et de trouver des “compromis” au-delà des clivages politiques. Or, il y a bien une proposition va dans ce sens : la taxe Zucman. Elle rapporterait jusqu’à 25 milliards d’euros par an et garantirait que les plus riches paient, en proportion, enfin autant d’impôts que le reste de la population. Soutenue par 86 % des Français, toutes sensibilités politiques confondues, déjà votée par l’Assemblée nationale et défendue par une immense majorité d’économistes – dont sept prix Nobel – elle fait consensus. Même des figures libérales l’appuient : Jean Pisani-Ferry, architecte du programme économique de Macron en 2017, ou Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, ont cosigné une tribune aux côtés de Gabriel Zucman pour la défendre. Des entrepreneurs concernés par cette taxe ont également publié ce dimanche une tribune pour appeler à sa mise en place.

Les milliardaires contre-attaquent

Toute la France, donc ? Non. Les derniers irréductibles sont sans surprise les plus privilégiés et ceux qui devraient être mis à contribution. Le premier d’entre eux, Bernard Arnault, est sorti de sa réserve ordinaire pour dénoncer une taxe dont le but serait de « mettre à terre l’économie française ». Rien que ça. Dans son sillage, quelques multimillionnaires se lamentent avec des arguments grotesques : Eric Larchevêque, crypto-millionnaire, parle de sa “situation intenable” s’il devait s’acquitter de cette taxe… alors qu’il lui resterait des centaines de millions d’euros ! Quant aux relais médiatiques de ces grandes fortunes, ils agitent des cas ultra-minoritaires, comme celui du patron de Mistral. Oui, certains entrepreneurs peuvent temporairement avoir une fortune concentrée dans une seule entreprise, sans disposer immédiatement de liquidités. Mais la solution existe : céder quelques parts à l’État pour s’acquitter de la taxe. Si l’entreprise prospère, son fondateur continuera de s’enrichir et l’Etat encaissera au passage une jolie plus-value qui pourra être réinvestie intelligemment. Si elle échoue, il n’aura rien perdu. Où est donc le problème ?

La construction de l’injustice fiscale

En réalité, ces “cas particuliers” n’ont qu’un objectif : ouvrir la voie aux exemptions. Il faudrait par exemple retirer de l’assiette les biens professionnels. Mais ils représentent 90 % de la fortune des principaux concernés !L’expérience des Panama papers nous prouve que c’est justement via ses holdings que Bernard Arnault détenait ses yachts de luxe ou même certains de ses biens immobiliers. Les exclure diviserait les recettes potentielles de cette taxe par dix... Et si l’on réduisait le taux à 0,5 %, comme ledemandent certains membres de la minorité présidentielle, le rendement s’effondrerait même de quarante fois, pour tomber à 500 millions d’euros au lieu de 20 milliards d’euros de recettes escomptées. Cette mécanique est connue. Hier, on agitait l’image du retraité de l’île de Ré. Avec sa faible pension, mais un patrimoine immobilier dont le prix avait explosé, il ne pouvait pas s’acquitter de l’ISF. Résultat : ces cas très particuliers ont justifié la mise en place du “bouclier fiscal” de Nicolas Sarkozy, censé protéger les retraités, mais qui ne fut au final bouclier que pour les grandes fortunes… Aujourd’hui, on nous rejoue la suite du film avec les start-uppers. Mais comme toutes les mauvaises suites, le scénario n’a pas bougé et il est donc aisé d’en deviner la fin : un cas exceptionnel brandi pour justifier un trou dans l’assiette de l’impôt, puis des armées d’avocats fiscalistes qui transformeront l’exception en règle pour tous. Notons à ce titre que les 500 plus grandes fortunes françaises ont progressé de 500% entre 2010 et 2025. Avec une taxe de 2% par an, il faudrait donc un siècle pour qu’elles reviennent au niveau de 2010. Et encore, en supposant qu’elles ne bénéficient d’aucun revenu dans l’intervalle… Alors comment s’en indigner ?

Sans justice fiscale, point de salut économique

Le cœur du sujet est là : l’Institut des politiques publiques l’a démontré, les plus riches paient moins, en proportion de leurs revenus, que la majorité des Français. La taxe Zucman vient corriger cette injustice et combler les failles de l’évasion fiscale. Les riches se défendent en invoquant la légalité de leurs pratiques ? Très bien. Changeons la loi, pour que légalité ne cesse de rimer avec injustice en matière fiscale. Face à ce consensus populaire, scientifique et parlementaire, que reste-t-il aux opposants ? Des caricatures. Bernard Arnault, qui qualifie de « pseudo-universitaire » Gabriel Zucman, Pierre Gattaz qui crie à “l’ignorance économique”, oubliant que la taxe est défendue par des prix Nobel. Le MEDEF brandit l’épouvantail de l’exil fiscal, alors même que le Conseil d’analyse économique a démontré dans un rapport publié cet été que l’argument ne tenait pas. Leur problème n’est pas technique, il est politique : ils veulent préserver leurs privilèges fiscaux. Notre responsabilité est claire : ne pas céder à ce chantage. Il serait trop facile d’utiliser l’écran de fumée d’une taxe qui n’aurait de Zucman que le nom, en rapportant quarante fois moins… Dans le but de faire accepter des efforts aux Français. Un vulgaire coup de communication qui ne pourrait tromper personne. Il faudra donc le marteler sans cesse : la taxe doit être appliquée dans sa version déjà votée par l’Assemblée nationale. Elle ne suffira pas à elle seule à réparer les dégâts économiques du macronisme. Mais elle doit être le premier pas de la marche vers la justice fiscale. Si elle était appliquée et que les 20 milliards d’euros derecettes engendrées étaient utilisés pour développer nos services publics et redonner un peu d’air aux Français qui souffrent, cela serait une première victoire indispensable. Qui en appellerait d’autres.

Tribune parue dans Libération le 26 septembre 2025. 

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