Pacte industriel vert européen : entre protectionnisme et libre-échange, il faut choisir !
Il fut un temps où le concept de “protectionnisme” n’avait pas droit de cité au sein des institutions européennes. Mais si l’on en croit les plus récents discours, cette ère semble désormais révolue, au moins en apparence... “Souveraineté” et “autonomie” sont devenus les maîtres-mots d’une Commission européenne sommée de répondre à un contexte économique et géopolitique nouveau façonné par la pandémie de Covid et la guerre en Ukraine. E. Macron avait d’ailleurs opéré le même virage lexical à 180° en 2020 en plein cœur de la pandémie en affirmant que “Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie“
Malgré une pudeur libérale à la peau dure - Le Commissaire Thierry Breton préfère parler de “réalisme sain” plutôt que de protectionnisme -, ce changement de ton a pris une tournure très concrète en ce mois de février, lorsque la Commission européenne a présenté son “Pacte industriel vert”. Ce plan vise à répondre à l’Inflation Réduction Act (IRA) américain, lequel prévoit entre autres 370 milliards de dollars de subventions et d’investissements fléchés vers l’industrie nationale pour accélérer la transition écologique (du moins sur le papier). Encore à l'état de brouillon, la réponse européenne promeut notamment “un commerce ouvert pour des chaînes d’approvisionnement résilientes”.
Le protectionnisme libre-échangiste : il fallait oser. La Commission l’a fait, et le Conseil lui a emboîté le pas dans sa déclaration du 9 février. Faire du libre-échange l’un des volets principaux d’un plan pour l’autonomie et la neutralité carbone, c’est un numéro d’équilibriste dont seuls les édiles de l'exécutif bruxellois ont le secret. Et pour cause : fidèles à leurs principes, l’Union européenne et les gouvernements des Etats-membres ne conçoivent pas l’avenir autrement que par une extension sans fin du grand déménagement du monde. Aux oubliettes les promesses de la Présidente Ursula Von Der Leyen de “raccourcir les chaînes d’approvisionnement” et les enseignements soi-disant tirés de la pandémie et de l’urgence climatique. Désicion est prise au contraire d’engager un peu plus l’Europe dans la course folle du dumping écologique et social dont tous les peuples sortent pourtant perdants.
Car le libre-échange est véritablement une pierre angulaire de la doctrine européenne de l’ ”autonomie stratégique ouverte” prônée par la Commission :
non contente de posséder un réseau de 42 accords de libre-échange avec 78 pays, l’UE redouble d’activité sur le front commercial : 12 accords sont en train d’être renouvelés ouétendus. 8 accords supplémentaires sont t en cours de négociation ou de ratification avec, entre autres, la Nouvelle-Zélande, le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay), l’Australie, la Chine, l’Inde ou encore l’Indonésie. Comment la Commission européenne peut-elle alors prêcher un “raccourcissement des chaînes d’approvisionnement” et un renforcement de l’industrie européenne tout en multipliant les accords de libre-échange avec des États aux quatre coins du monde ? Quel sens y a-t-il à faire venir littéralement de l’autre bout de la planète du bœuf du Brésil ou du lait de Nouvelle-Zélande quand nos propres producteurs n’arrivent pas à vendre leurs stocks et vivre dignement de leur métier ? Qui plus est en ne se conformant pas aux mêmes normes sanitaires et environnementales que celles en vigueur dans l’UE ? Nous avons beau chercher, nous voyons mal en quoi cela contribue à renforcer la résilience de l’UE.
L’activité frénétique de la Commission européenne pour accroître le nombre et la portée des accords de libre-échange en dit long sur son absence de volonté d’opérer une réelle bifurcation écologique qui passe nécessairement par la relocalisation de l’économie. Les mots changent mais leur logique libérale reste la même : face à l’urgence climatique et sociale absolue que nous connaissons, ne remettons surtout pas en cause la mondialisation. Au contraire, faisons table rase des droits de douane, abaissons les normes sociales et réglementations environnementales qui sont des obstacles aux échanges de biens et de services; libéralisons encore et toujours plus et tout le monde en sortira gagnant.
Il est temps de le dire clairement : écologie et libre-échange ne feront jamais bon ménage. Contrairement à ce qu’on entend souvent dans la bouche de ses plus fidèles défenseurs, la critique et le refus du libre-échange ne sont en aucun cas annonciateurs d’un repli sur soi ou d’une volonté d’autarcie. Notre ouverture au monde ne saurait être jaugée à l’aune du nombre de conteneurs en transit dans nos ports ni de la présence de poulet chilien dans les étals de nos supermarchés. La bifurcation écologique et sociale ne se fera pas sans un changement radical de nos modes de production et de consommation. L’Union européenne doit donc enfin faire un choix. Car les mouvements contradictoires d’une Commission tiraillée entre ses habitudes néolibérales et une réalité qui les met systématiquement en défaut nous mènent droit dans le mur.