Tempête fiscale dans un verre d'eau… À moitié plein ?
Certains mariages lexicaux sont plus surprenants que d’autres. Qui aurait cru qu’un jour le vocabulaire de la fiscalité et celui des films d’horreur s'entremêleraient dans les discours des ministres et députés macronistes ? Nous voilà face à des expressions telles que « boucherie fiscale », « budget Frankenstein », « massacre à la tronçonneuse de nos entreprises » et « saignée pour le pouvoir d’achat ». Normalement, les journalistes auraient pour rôle de dénoncer ces outrances verbales. Bien loin de cela, la presse bourgeoise s’en fait l’écho, avec des titres alarmistes comme « tempête fiscale » (Les Echos), « fièvre fiscale » (Le Figaro), « foire aux taxes » (Le Parisien) ou « fuite en avant fiscale » (Les Echos).
Les matinales auraient pu inviter des experts reconnus de la fiscalité – notre pays en compte plusieurs de renommée mondiale, comme Thomas Piketty ou Gabriel Zucman. Mais c’est le président du MEDEF qui a eu libre antenne, parlant de « insécurité fiscale » et se demandant « à quelle sauce [il] va être mangé ». Il déplore des débats « lamentables » à l’Assemblée nationale et demande des « efforts là où c’est le moins douloureux » prenant comme mesure exemplaire… Le gel des retraites ! Moins douloureux pour ses dividendes, peut-être, mais certainement pas pour le peuple. Pourquoi ne pas inviter plutôt un des 2 millions de retraités en situation de pauvreté, pour entendre la véritable insécurité économique subie quand leur retraite est gelée ou quand leurs factures d’électricité augmentent ? L’impossibilité d’acheter un troisième yacht à cause d’une hausse d’impôts ce n’est pas de l’insécurité… C'est tout simplement de la justice fiscale !
Matraquage fiscal ou… Social ?
Les riches paniquent donc face aux modifications du projet de loi de finances apportées par les députés NFP. Pourtant, les mêmes médias qui dénoncent aujourd’hui des « massacres fiscaux » parlaient hier de « courage », « d’efforts nécessaires » et de « sérieux budgétaire » en commentant la première version du budget Barnier. Pourquoi ne parlait-on pas de « boucherie pour les services publics » lorsque le budget prévoyait de supprimer 4 000 postes d’enseignants ? Ou de « matraquage social » avec le gel de toutes les retraites ? Où étaient les dénonciations de « l’enfer fiscal » lors de l’augmentation des taxes sur l’électricité, qui sont les plus injustes de toutes puisqu’elles frappent proportionnellement davantage les classes populaires ?
Car qui subit le véritable enfer ? Un couple avec 500 000 euros de revenus annuels qui doit payer 20 % d’impôts ? Ou un retraité à 1 500 euros qui perd 18 euros mensuel de pouvoir d’achat ? Une multinationale qui doit payer 25 % d’impôt sur ses profits colossaux, même si ces derniers sont en partie déclarés dans des paradis fiscaux ? Ou bien le parent qui voit son enfant sans professeur pendant des mois du fait des suppressions de poste ? Un multimillionnaire qui devra de nouveau payer l’ISF ? Ou une personne au Smic qui devra renoncer à se soigner du fait de la baisse des remboursements ? Victor Hugo écrivait : « C'est de l'enfer des pauvres qu'est fait le paradis des riches ». Et c’est bien cela que nous voulons changer.
Mais comment en est-on arrivé à un point où de simples mesures de justice fiscale sont décrites comme les pires horreurs ? C’est le résultat de dizaines d’années de détricotage fiscal (moi aussi je peux jouer au concours lépine du meilleur adjectif devant « fiscal » !) rendant notre système fiscal de plus en plus inéquitable...
Macron partout, justice (fiscale) nulle part
Dans les années 1980, l’impôt sur la fortune était bien plus important que celui supprimé par Emmanuel Macron en 2017. Une TVA à 33% s’appliquait sur les produits de luxe. L’impôt sur les sociétés atteignait 50 % : aujourd’hui, c’est moitié moins ! Quant à l’impôt sur le revenu, il comprenait 14 tranches, avec un taux marginal supérieur atteignant 65 %. Aujourd’hui, l’effort repose sur 5 petites tranches, et imposer un taux minimal à 20 % pour les plus fortunés provoque l’hystérie médiatique…
Les impôts indirects, les plus inéquitables, sont devenus les plus importants. Plus on est pauvre, plus on paie donc d’impôts par rapport à son revenu. La TVA et la CSG sont non seulement les impôts les plus injustes, mais aussi ceux qui rapportent le plus de recettes en France : elles ont d’ailleurs augmenté respectivement de 25 % et 370 % en 20 ans. Résultat : selon l’Insee, entre 1998 et 2021, le patrimoine des 10 % les moins bien dotés a baissé de 54 %, tandis que celui des 10 % les mieux dotés a augmenté de 94 %. Et l’Institut des Politiques Publiques a montré que les plus riches payaient un taux d’impôt deux fois moins important que le peuple, en proportion de leur revenu économique.
La situation est similaire pour les entreprises. Les multinationales échappent largement à l’impôt sur les sociétés en déclarant leurs bénéfices dans des paradis fiscaux, alors que les PME, elles, paient leurs impôts plein pot, avec un taux effectif supérieur de 6 points à celui des grandes entreprises.
Macron a accéléré cette sale besogne fiscale. Un exemple marquant : la suppression de l’ISF. Les résultats ne se sont pas fait attendre : la fortune des 500 plus grandes fortunes françaises a presque triplé depuis ! Enfer pour les pauvres et paradis pour les riches, donc.
La fin de la démocratie… Fiscale ?
Il n’est donc pas étonnant de voir la contre-offensive se déployer quand on touche à ces privilèges. Voyons le bon côté des choses : depuis 15 ans que je travaille sur les questions de justice fiscale, c’est la première fois que le débat est aussi vif dans la société ! Quand je travaillais à Oxfam au début du quinquennat Macron, j’avais déjà alerté sur une trajectoire fiscale la plus inégalitaire qu’on ait jamais connue.
L’enjeu est de taille. Il faut trouver 60 milliards d’euros pour se conformer aux critères austéritaires de l’Union européenne. Des critères absurdes sans aucun fondement économique, que nous avons âprement combattus au Parlement européen et auxquels nous devrions désobéir. Remarquez au passage que ces 60 milliards d’euros correspondent exactement au montant annuel des cadeaux fiscaux réalisés par Macron. L’enjeu pour retrouver un équilibre financier n’est donc pas, contrairement à ce que le Gouvernement voudrait nous faire croire, un enjeu de dépenses. Mais bien de recettes. Nos amendements adoptés en commission des finances correspondent d’ailleurs à 60 milliards d’euros de recettes, en concentrant les efforts sur ceux qui peuvent se le permettre tout en épargnant 90 % des Français ! Car il n’y a plus de majorité à l’Assemblée nationale pour soutenir la politique de cadeaux aux riches de Macron.
Mais la démocratie a ses limites pour les privilégiés. La seule voie qu’ils estiment possible est leur solution : faire payer le peuple. Pas étonnant : 90% des médias sont possédés par des milliardaires, qui n’ont aucune envie de payer davantage d’impôt… Mais une démocratie dans laquelle une seule option est possible, ce n’est plus vraiment une démocratie.
Le journal Les Echos titre par exemple « Impôts, réglementation : les lignes rouges du président de la Fédération des banques françaises » . Mais depuis quand ce sont les lobbyistes, qui plus est du secteur bancaire, qui fixent les lignes rouges ? En démocratie, il me semblait que c’était plutôt au peuple de les fixer.
Autre exemple : invité sur RTL cette semaine, Manuel Bompard explique que le NFP a trouvé une majorité en séance publique pour rendre pérenne l’imposition minimale à 20 % des plus hauts revenus. Il s’est alors vu opposer par la journaliste Céline Landreau cette incroyable remarque : « Mais justement c’est ça qui pourrait pousser à une utilisation du 49-3, est-ce que vous ne pouviez pas vous contenter de 2 ans ? » On explique donc à un député de l’opposition qu’il serait coupable de l’usage du 49-3, puisqu’il a osé proposer – et pire, réussi à faire adopter ! – une modification de la loi initialement proposée par le Gouvernement ? En somme, la règle est simple pour ces médias : soit l’opposition doit voter sans modifier une virgule la copie du Gouvernement, soit le Gouvernement doit utiliser le 49-3. Mais quelle idée saugrenue d’avoir des députés qui modifient la loi !
Le Gouvernement n’a guère plus de respect pour la démocratie parlementaire. La preuve en est : le premier jour des débats sur son projet de budget, il a fait fuiter dans la presse le document budgétaire qu’il s’apprête à envoyer à l’Union européenne. Et peu importe le vote de l’assemblée nationale. La copie est déjà prête, et le plan budgétaire s’étale jusqu’en… 2029 ! Peut-être que d’ici là le peuple pourrait avoir son mot à dire, non ?
Gare à la révolte fiscale
Mais nous les prévenons : notre histoire est rythmée par les révoltes fiscales, des Maillotins aux Croquants, jusqu’à la Grande Révolution de 1789. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 proclame le contrôle citoyen de l’impôt et sa nécessaire justice : « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » Il existe donc, chez nous, un lien profond entre fiscalité et démocratie : la justice fiscale est une condition de la légitimité de l’État.
Le retour des révoltes fiscales ces dernières années, avec comme point d’orgue le mouvement des Gilets jaunes, n’est pas anodin. Nous proposons de régler de manière apaisée ces débats. Il serait sage de nous écouter.
Le RN, béquille d’un système libéral à bout de souffle
Les macronistes sont en minorité à l’Assemblée nationale. Mais ils peuvent compter sur leur assurance-vie : les députés d’extrême-droite, bien présents lorsqu’il s’agit de sauver les privilèges fiscaux des plus riches ! Il faut voir les députés RN supplier les macronistes d’être plus nombreux dans l’hémicycle pour barrer ensemble la route à la taxation des plus riches. Jordan Bardella lui-même a participé de la surenchère verbale en parlant de “sadisme fiscal” et en s’insurgeant sur Twitter contre la hausse de la flat tax. Selon lui, il serait “trop injuste” pour les actionnaires de payer un impôt sur les dividendes à 15,8 %... Alors que la deuxième tranche de l’impôt sur les revenus du travail (dès 2 666 euros) est de 30 % ! Son groupe a ainsi tout fait pour sauver les riches (et la macronie) en votant contre le rétablissement de l’ISF ou la taxation des super-héritages. Jordan Bardella a pu même directement voter en faveur des plus fortunés cette semaine au Parlement européen, en s’opposant à nos amendements proposant plus de justice fiscale dans le budget européen. Il a au passage sauvé ses propres privilèges, en s’opposant à mes amendements proposant de baisser les salaires des députés… Jordan BardePasLa n’est là que pour protéger ses intérêts.
Mais cette béquille est fragile. Le RN ne pourra plus assumer longtemps de soutenir un gouvernement qui préfère geler les petites retraites plutôt que de taxer un peu plus les riches. Alors, ce gouvernement finira par tomber. Et nous avons montré ces dernières semaines que nous étions prêts à prendre le relais. Nous avons un budget à proposer aux Français, un budget qui fait contribuer les plus riches, laisse respirer le peuple et investit dans les services publics et la transition écologique ! Ce budget est majoritaire dans le pays et même à l’Assemblée nationale. D’où leur panique. Mais la tempête fiscale qu’ils dénoncent n’est qu’une tempête dans un verre d’eau, que je préfère voir à moitié plein : chaque jour nous rapproche de notre arrivée au pouvoir et des jours heureux qui s'ensuivront !