Le braquage organise de l’hopital public
LVMH, Pernod Riccard, Gucci, Yves Saint-Laurent…. Leur nom n’arrête pas de défiler dans mon fil twitter et dans les articles de presse que je lis : ce sont les « généreuses » boîtes qui ont fait des dons de gel hydroalcoolique et masques. Les JT saluent leur geste tel le messie et le gouvernement ne jure que par elles, faute d’avoir eu le courage de réquisitionner des entreprises pour produire ce matériel. Qu’on ne se méprenne pas : bien sûr que ce matériel sera utile de manière immédiate pour protéger nos soignants et tous ceux qui sont sur le front de la lutte contre le coronavirus. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser immédiatement aux milliards d’euros que ces entreprises ont fait perdre à l’Etat en pratiquant l’évasion fiscale, autant d’argent que les soignants n’ont cessé de réclamer pour les hôpitaux publics ces derniers mois. En vain.
Et là me revient immédiatement en tête cette vidéo que nous avions faite il y a deux ans quand je travaillais à Oxfam : un braquage en bande organisée de nos hôpitaux. On avait réfléchi à l’époque à la meilleure manière de faire prendre conscience de l’impact concret des pratiques d’évasion fiscale des grandes entreprises multinationales. Derrière les schémas complexes d’ « optimisation fiscale » (ça leur parait plus positif dit comme ça) des grandes boites, les enjeux sont pourtant simples et concrets : le financement de nos services publics. Une question qui prend tout son sens en ce moment. A chaque million d’euro évadé, c’est un million qui manque pour embaucher des infirmier.e.s ou des médecins, acheter des masques ou des respirateurs. A la fin de la vidéo, ces braqueurs débranchent des respirateurs. On ne croyait pas si bien dire. Nous y voilà. Le braquage a bel et bien eu lieu par ces entreprises multinationales guidées par l’appât des paradis fiscaux et du gain. Résultat : au gré des manques à gagner dûs à l’évasion fiscale et des choix politiques de cette décennie, la France ne dispose plus que 3 lits d’hôpitaux en soins intensifs pour 1 000 habitants, c’est 10% de moins qu’il y a une dizaine d’années.
Alors ne nous y trompons pas : toutes ces boîtes qui annoncent en grandes pompes leur généreux don sont en train de nous donner d’une main ce qu’elles nous avaient pris de l’autre. Et encore, les deux mains sont loin d’avoir la même taille. Les 10 millions de masques offerts par LVMH, valent 5 millions d’euros. Ses 9 filiales belges hébergées dans un immeuble fantôme en Belgique ont permis d’y transférer plus de 5 milliards d’euros en fonds propres, exemptés en grande partie d’impôts. Kering, la maison mère de Gucci et Yves Saint Laurent, devrait donner 4 à 5 millions de masques à travers ses différentes marques. C’est aussi la plus grosse affaire d’évasion fiscale jamais révélée pour une entreprise française : plus de 2,5 milliards d’euros soustraits à la France… et l’Italie. Terrible ironie. Au passage, ces manœuvres contribuent aux fortunes de Bernard Arnault, propriétaire de LVMH et 1ère fortune de France, et Henri Pinault, cinquième fortune et propriétaire de Kering. Tous deux passés rois dans l’art de dissimuler leurs fortunes dans des paradis fiscaux et régulièrement épinglés dans des scandales d’évasion fiscale.
Il est 20h, la clameur monte des immeubles. Bernard Arnault et Henri Pinault applaudissent-ils aussi nos soignants qu’ils ont contribué à dépouiller ? Peu après, au gré de mon zapping nocturne, je tombe sur l’émission de France 2 « Ensemble avec nos soignants », une soirée de solidarité avec le personnel hospitalier où l’on retrouve notamment Patrick Bruel ou Julien Clerc, tous deux impliqués dans des affaires d’évasion fiscale, lançant des appels au don à l'hôpital public.
Alors à tous ces braqueurs soudainement extrêmement généreux, ne serait-il pas temps de restituer votre butin ? Je crois que l’hôpital public n’en a jamais eu autant besoin.
Manon Aubry
(Image d'ATTAC)