Plan de com du gouvernement pour “lutter contre l’évasion fiscale”, mais sans toucher aux plus riches !
Le Gouvernement ne sait pas comment se sortir de cette impasse : personne n’accepte sa réforme injuste des retraites. Il tente donc d’allumer des contre-feux. L’un des derniers en date ? La présentation d’un plan de lutte contre la fraude fiscale par le ministre du budget Gabriel Attal. Ce dernier indique même dans une interview accordée au journal Le Monde : « Notre priorité : faire payer ce qu’ils doivent aux ultrariches et aux multinationales qui fraudent ».
Tiens et voilà que le gouvernement découvre qu’il y a des évadés fiscaux et que les ultra-riches qui ne paient pas leurs impôts dans notre pays… Eureka ?
Un Gouvernement plus habitué à négocier avec les fraudeurs qu’à les faire payer
Vous connaissez mon obsession pour les questions de lutte contre l’évasion fiscale. Avant d'être élue au Parlement européen, c’était mon boulot à plein temps pour l’ONG Oxfam. Depuis j’ai évidemment emmené ce combat avec moi dans l'hémicycle ;-). Dégoûtée par les scandales qui s’enchainaient, la population s’est peu à peu intéressée à ce sujet autrefois jugé technique et obscur. Mais pas les Gouvernements. C’est aussi ça qui m’a poussé à me présenter à des élections : pouvoir enfin participer à l’écriture de la loi pour tenter de résorber cette injustice totale.
Mais dans la bouche de ce Gouvernement, ces mots sonnent faux, archi-faux. Il y a 5 ans, le Président Macron affirmait déjà : « Nous serons intraitables en matière de fraude fiscale, il n’y aura jamais une complaisance ». Mais la loi qui s’en est suivie avait au contraire étendu les Conventions Judiciaires d’Intérêt Public (CJIP) aux cas de fraude fiscale, permettant ainsi aux fraudeurs de négocier leur amende et d’échapper ainsi à toute condamnation. Pratique pour eux. Mais problématique pour les finances publiques.
De la même manière, le fisc a fait en 2020 une énorme faveur à la famille Pinault : grâce à un règlement d’ensemble du litige fiscale, l’entreprise Kering a payé un redressement d’un peu plus de 200 millions, alors que Bercy réclamait, au départ, au moins deux fois plus. C’est comme si une fois le braqueur de banque coincé la main dans le sac, on lui proposait de le relâcher sans poursuite… Et avec la moitié de son butin. On a connu procédure plus dissuasive…
Le simple fait que le Gouvernement doive proposer un nouveau plan sur le même sujet 5 ans après montre que ce fut un échec. Pourtant, ce plan n’en tire absolument pas les conclusions puisqu’il ne revient sur aucune de ces procédures à l’amiable.
Un plan qui n’est pas à la hauteur
Pire, il étend son “droit à l’erreur” en massifiant les régularisations et les remises de pénalités. Comme si c’était “par erreur” que les fraudeurs plaçaient leur fortune au Luxembourg ou en Suisse.
Quelques bonnes idées ont tout de même fait leur chemin : une COP fiscale (à l’image de ce qui se fait pour lutter contre le changement climatique) ou encore d’un cadastre financier international figurent dans le plan du Gouvernement. Voilà plus de 10 ans que je me bats pour ces propositions mais disons-le tout de suite, il s’agira d’un vœu pieu s’il n’est pas porté par un volontarisme politique au niveau international. Pourtant, Emmanuel Macron n’a même pas évoqué ce plan dans sa grande interview sur les questions économiques accordée au journal Challenges un jour après. En clair : ce n’est pas sa priorité, une fois le coup de com’ effectué.
D’autres solutions avancées répondent en fait à des obligations européennes pour lesquelles nous nous sommes battues, comme la facturation numérique pour la TVA ou la régulation des intermédiaires. Sous la contrainte, ce Gouvernement adopte donc des mesures qu’il mettra en place probablement en traînant des pieds. C’est que la France n’a jamais été moteur en Europe sur la lutte contre l’évasion fiscale. Au contraire : il y a moins de 2 ans, Macron torpillait toute avancée possible en termes de transparence fiscale des multinationales en envoyant directement à nos voisins européens son argumentaire rédigé par… Le MEDEF ! Et on imagine de toute façon mal Macron sanctionner ses amis de McKinsey, pourtant des intermédiaires champions en conseil d’évasion fiscale. Ni demander à ses amis les grands patrons de venir repeindre le centre des impôts, en guise de travail d’intérêt général… Dommage : Bernard Arnault et Jeff Bezos à l'œuvre, ça aurait de la gueule ! 🙂
De même, il serait en effet utile d’obtenir une évaluation du montant de la fraude fiscale. Mais cette idée n’est pas nouvelle : je me trouvais dans la salle lorsque Gérald Darmanin avait formulé la même promesse en… 2018. Et 5 ans plus tard, toujours rien. Surtout, c’est la composition de ce comité et son indépendance vis-à-vis du gouvernement qui est importante : et Gabriel Attal n’a pas dit un mot sur ces points.
Le plan promet aussi 1500 contrôleurs fiscaux en plus d'ici 2027. Mais ne précise pas s'il s'agira d'embauches réelles ou de simples redéploiements d'effectifs… Et ce chiffre ne permettra même pas de compenser les suppressions de poste effectuées par le même Macron depuis 2017 !
Enfin, le plan propose d’augmenter les contrôles fiscaux sur les plus gros patrimoines. Mais si cette mesure, à l’image de l’ensemble du plan, n’est pas chiffrée, ce n’est pas un hasard…
L’éléphant dans la pièce : pas touche à l’évasion fiscale “légale” des riches
Mais au-delà de l’efficacité relative de ces mesure, le plan ne s’attaque pas au coeur du problème : "grâce" aux cadeaux fiscaux du président des riches et à l’évasion fiscale qu’on leur laisse pratiquer comme un sport légal, mais réservé aux riches, ces derniers n'ont même plus besoin de frauder pour échapper à l'impôt.
Et c'est là tout le problème : d'après une étude à paraître de l'IPP les 37 foyers les plus riches paieraient un taux effectif de 0,26% sur leur revenu économique. Les riches n’ont donc pas besoin de frauder pour éviter l’impôt : ils planquent leur argent dans les paradis fiscaux en toute légalité. Et pour ça, nul besoin d’aller bien loin : notre voisin Luxembourgeois sait se montrer très accueillant pour nos milliardaires. Alors pourquoi prendre le risque de frauder quand on peut "optimiser" son impôt légalement ?
Et c’est là toute la faille de ce plan mal ficelé. Il augmentera certainement marginalement les contrôles. Mais ne rendra pas illégales des pratiques qui devraient pourtant l’être. C’est en partie ce qui explique le fait que ce plan ne fera pas l’objet d’un projet de loi en soi : car il ne propose pas de modification législative d’ampleur. L’autre raison est plus inquiétante : en éparpillant ses mesures, le Gouvernement peut prioriser celles qui vont dans le mauvais sens et garder les bonnes mesures pour plus tard, quitte à ce qu’elles passent aux oubliettes une fois l’attention médiatique passée.
En 2017, comme en 2023, Emmanuel Macron, reste bien encore et toujours le Président des riches !